"Dis-moi ce que tu ne finances pas, je te dirai qui tu es…" Le budget de l’instruction publique ne va pas permettre d’octroyer les fonds nécessaires aux besoins et aux ambitions d’un département ô combien stratégique pour l’avenir de notre commune. Dans le cadre des débats budgétaires liégeois pour 2021, voici l'intervention de Céline Fassotte sur la problématique de l'enseignement.
"Monsieur l’échevin,
Mesdames et Messieurs les membres du collège,
Les comptes et les projections budgétaires sont un bon moyen pour contextualiser la situation financière de l’enseignement liégeois, et, par là, l’importance que son pouvoir organisateur lui donne. Car il s’agit bien, à la base, de choix idéologique, et, nous le déplorons ici, d’application passive de la fameuse austérité qu’il faudrait absolument devoir vivre pour sortir de la crise. Lors de la dernière commission enseignement, vous avez même commencé votre intervention par le mot « fatalement ». Il ne semble plus être question d’enseignement, mais de gestion, la gestion d’une dépense publique qui doit se réduire coûte que coûte, peu importent les résultats. L’attachement aux écoles se compte pourtant aussi en euros, pas seulement en démonstrations joviales préélectorales.
Comme les recettes ordinaires sont liées au nombre d’inscrits, penchons-nous d’abord sur l’évolution du nombre des inscriptions. On remarque depuis 2012 une érosion des inscriptions, mais cette dernière est inégale selon les niveaux : l’enseignement fondamental ordinaire et spécialisé évolue positivement, alors que le supérieur et la promotion sociale chutent. La HEL seule perd 4,4% de ses élèves entre 2019 et 2020. Si on observe l’évolution par option, on se rend compte que la section pédagogique, qui forme de futurs instituteurs et de futurs professeurs du secondaire, perd 5,4% d’étudiants. Alors que ce sont des métiers en pénurie ! Où vont-ils s’inscrire et pourquoi ? La lecture du dernier PV de l’organe de gestion de la HEL nous donne des pistes de réponse par la voix de représentants étudiants qui s’indignent contre le manque d’encadrement qui dégrade la qualité de la formation et leur fait craindre d’être pénalisés sur le marché du travail par rapport aux jeunes sortants des autres hautes écoles. La promotion sociale accuse quant à elle une perte de pas moins de 16%. En ce qui concerne le secondaire, toutes options confondues, on observe une moyenne de 4437 élèves entre 2010 et 2018, sans écarts remarquables, mais en 2019, on passe à 4303 et cette année, à 4122. Seul Waha est en progression. Destenay, lui, chute de plus de 7%. Mais j’y reviendrai plus en détail lors du conseil communal de janvier lors duquel on aura enfin droit au débat sur la rentrée scolaire de septembre dernier. Une baisse d’inscription entraine une diminution des subsides, et une diminution des subsides, c’est-à-dire des recettes, provoque inévitablement une dégradation de la situation sur le terrain en termes d’encadrement, de matériel, de confort. Actuellement, la ville se contente de ce qu’elle reçoit de la fédération Wallonie Bruxelles et ce n’est pas suffisant. Il faut un investissement communal complémentaire. C’est comme ça que c’est censé marcher. Mais cela fait la 4e année consécutive que vous annoncez une hausse du budget de l’IP aux alentours de 33, 34 millions d’€ alors que les comptes montrent que l’on stagne à 30 millions, une dépense stabilisée, moindre que ce qui était budgétisé de 3 à 4 millions par an, et qui ne tient pas compte de l’inflation.
L’évolution de la répartition des dépenses nettes de la ville par niveau d’enseignement est également intéressante à regarder. On remarque un investissement net de la ville dans le fondamental, mais un abandon de plus en plus marqué pour le secondaire général, artistique et technique, ainsi que le spécialisé. La fédération Wallonie Bruxelles ne subsidie pas entièrement les élèves de la ville de Liège, à charge pour le PO de mettre la différence, j’en parlais plus haut. Si c’est un peu le cas pour le fondamental, le secondaire vit uniquement de ses subsides et, on ne sait trop comment, la Ville tire même parti de ce poste là en 2016 et 2017 puisque les recettes ordinaires dépassent les dépenses ordinaires. Dans le spécialisé, les subsides sont en hausse mais la ville semble se désengager pour stabiliser ses dépenses, sa part tend à devenir nulle. Le collège doit pérenniser l’offre liégeoise dans sa diversité en lui octroyant les fonds nécessaires à hauteur de ses besoins et de ses ambitions. Si vous ne réinvestissez pas dans l’enseignement secondaire, supérieur et de promotion sociale, vous acceptez et prévoyez sa mort à long terme. L’enseignement prépare l’avenir. Nous ne sommes pas d’accord avec l’avenir que, pour le moment, vous semblez réserver à l’instruction publique.
En ce qui concerne l’enseignement supérieur, les deux plus grands postes de dépenses sont l’énergie et la dette, à eux seuls ils représentent 45% du budget. En effet, le gaz et l’électricité constituent environ 25% des dépenses, soit 418 000€. La dette, quant à elle, s’élève à 343 000€, soit 20%. Ces chiffres sont très frappants. J’aurai l’occasion de revenir sur le cas de la dette lors du prochain conseil communal. Nous avons tous été touchés par la mobilisation des membres du personnel et des étudiants de la HEL car ils ont légitimement l’impression que la Ville de Liège est en train d’abandonner sa haute école. La suppression de 50 postes sur un cadre de 200 enseignants, c’est-à-dire un quart des profs, ça fait peur à tout le monde maintenant et ça n’augure rien de bon pour le futur car ce n’est pas ce genre de décision qui va faire remonter les inscriptions. Et alors, quand je demande en commission « en quoi le budget de l’instruction publique tient-il compte de la situation à la HEL ?» et qu’on me répond « cela n’a aucun impact sur le budget », et bien, je vois des autruches, évidemment ! Nous sommes vraiment très très loin d’une gestion rationnelle et éclairée. Et si vous ne voulez pas entendre le PTB sur le sujet, écoutez au moins le terrain, puisqu’il ne vous laisse pas le choix et, surtout, entendez-le !
À propos des dépenses en électricité et en gaz, le cadastre énergétique est sans appel à ce sujet : qu’il s’agisse de ceux du supérieur ou de ceux des autres niveaux, la plupart des bâtiments de l’instruction publique ne sont pas aux normes en matière de performance énergétique. La rénovation et l’isolation des murs, fenêtres et toiture de la centaine de bâtiments scolaires doit être l’objet d’un ambitieux plan d’investissement. Il y en a 100. Nous évoluons actuellement au rythme de 10 bâtiments rénovés par décennie, ceux du projet Rénowat que vous me resservez à chaque fois que j’aborde le sujet. Allons-nous devoir attendre encore 90 ans pour avoir accès à des lieux de travail et d’étude qui répondent aux normes modernes? Ces passoires thermiques coûtent 2,5 millions chaque année. Un élan affirmé, diligent, soutenu, dans des travaux de rénovation représente à court terme une somme très importante mais permettrait sur le long terme de ne plus laisser des montants pharamineux s’évaporer dans la nature. Ce serait une manière d’économiser intelligemment, de proposer un cadre de travail et d’étude plus agréable, de respecter les engagements de la ville en matière d’environnement et de montrer l’exemple. Ce serait aussi un moyen de ne pas se laisser surprendre par une facture en gaz d’1 petit million supplémentaire en cas d’hiver rude, comme en 2013 (3,3). Nous avons eu de la chance ces deux dernières années (2 à 2,5). Je vous rappelle que les fournitures en gaz représentent à peu près 7% des dépenses totales de l’IP.
Notre instruction publique a besoin qu’une part plus grande du budget de la ville de Liège lui soit consacrée notamment parce que les recettes seules ne sont pas suffisantes. Il faut un réel investissement, notamment dans les niveaux d’enseignement qui ont été progressivement désinvestis ou qui ne sont pas financés à hauteur de leurs besoins. Nous plaidons aussi pour un plan concret de rénovation des bâtiments scolaires, un plan suivi d’action assidue, bien sûr, car la lutte contre le réchauffement climatique passe aussi par là. Il est très clair que notre enseignement communal mérite mieux, financièrement, dans sa gestion et dans sa valorisation.
Je vous remercie pour votre écoute."
Céline Fassotte, enseignante et conseillère communale PTB