A l'occasion de la session budgétaire du conseil provincial, Marc Delrez, conseiller PTB, a déposé un amendement demandant l'appui de la Province à la caisse de sécu-solidaire des sans-papiers liégeois. Après une critique acerbe du contexte fédéral dans lequel évolue les sans-papiers aujourd'hui, le conseiller PTB a rappelé la circulaire de la Région wallonne du 21 septembre 2020, qui enjoint les provinces et les communes à apporter non seulement un abri, mais aussi une aide d’urgence sanitaire et alimentaire, à toute personne en difficulté sur le territoire, quelque soit son statut de résidence et comme y incitent les conventions internationales. Pour plaider finalement pour un soutien financier provincial au projet de sécurité sociale solidaire organisée par les sans-papiers liégeois. Voici le texte de son intervention.
Amendement budgétaire de Marc Delrez au conseil provincial du 26 octobre 2020
La présente demande d’amendement budgétaire, au profit des sans-papiers, s’inscrit dans le double contexte constitué par la crise sanitaire que nous vivons et le programme du gouvernement fédéral annoncé le 30 septembre dernier.
Il a été largement démontré que le coronavirus tend à renforcer les inégalités sociales et en effet il frappe les sans-papiers de manière sévère, en accentuant encore leur précarité. Les nombreux sans-papiers présents sur notre territoire tirent normalement leurs maigres revenus de l’économie informelle – dans la construction, dans l’horeca, dans les ménages. Ils construisent nos maisons et nos routes, produisent notre nourriture. Lors de ce que nous appellerons le « premier confinement », ces emplois de fortune ont bien souvent disparu, plongeant des milliers de personnes dans une misère absolue, d’autant plus qu’ils n’ont évidemment pu profiter d’aucune aide de la part de l’Etat.
Dans une récente carte blanche publiée le 20 octobre 2020, le Ciré (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers) nous met en garde quant aux dangers sanitaires engendrés par cette situation. De nombreuses personnes, isolées ou en famille, n’ont d’autre choix que de se rassembler sur des lieux de vie collectifs, souvent très exigus, où il leur est impossible de respecter les consignes de sécurité en matière de distanciation physique. Indépendamment de l’indignité de ces conditions de vie, qui constituent un scandale auquel aucune personne un tant soit peu humaniste ne peut rester indifférente, et sans même parler du risque de contamination encouru par ces personnes à titre personnel, il y a là aussi un vrai problème sanitaire, un danger pour l’ensemble de la société, qu’il est devenu urgent de régler.
Cependant, la récente déclaration de politique générale du gouvernement fédéral annonce un durcissement des mesures de répression et d’expulsion. En Belgique francophone, tous les partis politiques (à l’exception du MR) avaient pourtant intégré dans leur programme de campagne électorale la promesse de régulariser les sans-papiers, sur la base de critères clairs à évaluer par une commission permanente indépendante de l’Office des Etrangers. Aujourd’hui, force est de constater que ce point de campagne a été versé au lourd chapitre des promesses non tenues par les partis traditionnels.
Au contraire, Sammy Mahdi, le nouveau Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, a déjà annoncé son intention d’expulser un beaucoup plus grand nombre de sans-papiers et de construire de nouveaux centres fermés, exactement comme le voulait Théo Francken. Le 8 octobre dernier, la destruction violente à Tournai, par la police fédérale, d’un lieu d’hébergement pour personnes en transit, a d’ailleurs clairement signé l’identité du nouveau gouvernement en la matière. De son côté, la « Commission Bossuyt » propose d’allonger la peine de prison liée au séjour irrégulier, de 3 mois à 1 an.
Dans ces conditions, comment espérer que les milliers de sans-papiers présents sur notre territoire acceptent de se soumettre à une stratégie globale de dépistage du coronavirus, sachant qu’ils risquent, à se manifester en cas de symptômes, l’arrestation, l’enfermement, et la déportation ? Comment espérer que le « tracing » des chaînes de contamination, pourtant essentiel à toute lutte rationnelle contre le virus, ait la moindre de chance de succès si les politiques déployées encouragent au contraire un nombre croissant de personnes à entrer dans la clandestinité et à se soustraire à tout « monitoring » ?
Tel est le contexte dans lequel s’inscrit la circulaire de la Région wallonne du 21 septembre 2020, qui enjoint les provinces et les communes à apporter non seulement un abri, mais aussi une aide d’urgence sanitaire et alimentaire, à toute personne en difficulté sur le territoire, quel que soit son statut de résidence et comme y incitent les conventions internationales.
Etant donné la défiance vis-à-vis des structures officielles engendrée par le gouvernement fédéral, toute aide logistique, sanitaire et alimentaire apportée aux sans-papiers devra leur être apportée dans le respect de leur légitime souci de discrétion et de confidentialité. Il convient donc de s’en remettre, pour la gestion de ces aides, aux structures autonomes créées par les sans-papiers eux-mêmes.
Il se fait que de telles structures existent, depuis la récente création en région liégeoise d’une « sécu solidaire », qui prend la forme d’une caisse de solidarité à laquelle les sans-papiers contribuent 10% des émoluments glanés grâce à leur travail dans les ateliers collectifs (cuisines, couture, etc). En temps normal, le comité de gestion de la coopérative créée à cette fin se charge de redistribuer les fonds récoltés en fonction des besoins, principalement en remboursant les factures d’hôpital non prises en charge par les CPAS. Les frais relatifs à l’hygiène, l’entretien des base, l’aménagement des locaux en contexte de crise sanitaire pourraient aussi être pris en charge par cette « sécu solidaire » si la caisse venait à être alimentée à hauteur des besoins. Or, il est loisible à des citoyens « avec papiers » ou à des organises publics de soutenir ce projet financièrement.
Au-delà de l’intérêt matériel représenté pour les personnes sans-papiers par ce projet, c’est aussi une expérience qui leur permet de découvrir la force de la mutualisation solidaire. En soutenant ce projet, la Province de Liège renouerait avec son passé le plus honorable, à l’image de son intervention de 1897 où elle avait versé un subside de 1.500 FB aux caisses de chômage, un geste symbolique qui avait la valeur d’un encouragement moral pour les travailleurs.
Devant l’urgence de la situation sociale affectant les sans-papiers aujourd’hui, et compte tenu du risque sanitaire que cela fait peser sur l’ensemble de la société, le PTB demande l’inscription au Budget 2021 d’un euro provisionnel en guise de cotisation à la caisse de « sécu solidaire » des sans-papiers liégeois.
Marc Delrez
Conseiller provincial PTB