Liège face à la casse sociale : 8000 exclus du chômage, le CPAS au bord de la rupture

Liège face à la casse sociale : 8000 exclus du chômage, le CPAS au bord de la rupture

4 novembre 2025

Ce lundi 3 novembre se tenait le conseil commun ville–CPAS, centré sur l’impact de la réforme du chômage sur le CPAS de Liège. Quentin Vauchel, chef de groupe PTB au conseil de l'action sociale, y a dénoncé les attaques sans précédent du gouvernement De Wever-Bouchez, auquel participe le MR et les Engagés, et leurs conséquences pour les Liégeois. Voici le texte de son intervention.

Monsieur le Bourgmestre, Mesdames et Messieurs les Echevins, Monsieur le Président du Conseil de l’Action Sociale, Mesdames et Messieurs Conseillers de la Ville et du CPAS, 

Depuis le dernier Conseil Communal Commun la situation de notre ville, de notre Région et de notre pays a fortement évolué. Avec la mise en place du Gouvernement Arizona ainsi que du Gouvernement MR-Engagé à la Région et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, nous voyons se dérouler sous nos yeux un catalogue de mesures d’austérité et une série d’attaques envers le monde du travail qui impactent lourdement, à tous les niveaux, les travailleurs et travailleuses. Ces mesures touchent donc plein fouet les liégeoises et les liégeois. Les coupes dans les budgets imposées par le gouvernement De Wever-Bouchez sur la sécurité sociale ainsi que les aides sociales au plus précaires impactent fortement les finances de notre CPAS. Pensons par exemple à la suppression du fonds Participation et Activation Social, qui était destiné à l’insertion des personnes (dont des aides diverses à l’enfance précarisée, comme le paiement de stage) ou encore au financement de notre maison familiale, maison qui accueille une quinzaine d’enfants orphelins ou placés par le juge. Ici, ce sont directement les familles et les enfants qui sont visés. Pensons aussi aux attaques fédérales contre le plan grand-froid ou encore de ceux qui permettaient l’accompagnement des femmes précarisées. Au travers de la politique de ce gouvernement, les services publics sont attaqués de toute part... Au niveau régional et communautaire, le gouvernement MR-Engagés prend également des mesures qui vont augmenter la précarité : suppression de la gratuité scolaire, augmentation du minerval, attaques contre les APE, attaques contre les subsides du non marchand… Ces attaques mettent directement à mal la pérennité de nombreux emplois et font passer les travailleuses et travailleurs à la caisse. 

Cette austérité impacte aussi directement les communes et donc notre Ville de Liège et ses habitants. L’exclusion de milliers de chômeurs dans les mois à venir va transférer une charge importante sur notre CPAS et donc sur notre commune. Notre Ville de Liège, déjà soumise à l’austérité du CRAC et du Plan Oxygène choisi de faire passer à la caisse les liégeois et liégeoises au travers d’une augmentation des taxes et d’une diminution des services. Prenons pour exemple l’augmentation de la taxe déchet d’un côté et la suppression de la collecte des encombrants de l’autre. Notre Ville de Liège se verra-t-elle contrainte de mener cette austérité encore plus loin face à la déresponsabilisation des gouvernements fédéraux et régionaux ? 

À Liège, de nombreux témoignages nous parviennent qui montrent que les gens n’en peuvent plus, que pour de plus en plus de travailleurs, les fins de mois sont difficiles. 

C’est le cas de Adeline, maman solo de deux jeunes enfants, qui travaille comme caissière dans une grande surface, à temps partiel contraint, et qui à partir du 20ème jour du mois, commence déjà à se priver pour garantir que ses enfants puissent manger. L’année passée, la gratuité du matériel scolaire dont ses enfants ont pu bénéficier lui avait donné un peu de souffle. Elle appréhende l’avenir et se demande maintenant si elle sera en mesure de subvenir aux besoins de ses enfants. 

Comme vous le savez, à partir du 1er janvier 2025, avec la participation du MR et des Engagés, 100 000 personnes seront progressivement exclues des allocations de chômage sur l’ensemble du territoire, pour atteindre plus de 180 000 un an et demi plus tard. Pour la ville de Liège, au fil des différentes premières vagues, on estime à près de 8 000 le nombre de personnes exclues. Ces exclusions vont plonger de nombreux ménages dans une pauvreté organisée. 

Le témoignage du mari de Louise, assistante sociale à temps partiel, montre bien cette réalité :
« Je ne comprends pas, j’ai reçu la lettre alors que je pensais avoir tout fait comme il fallait. J’ai travaillé de nombreuses années dans la sécurité, mais à la suite d’un accident du travail j’ai fait un burn-out. J’ai mis du temps à m’en remettre. Avec l’accompagnement du Forem, j’ai suivi une formation. J’ai lancé ma propre activité, toujours en accord avec le Forem et l’Onem. Et là, le 1er janvier, je perds mes allocations. Ma boîte ne rapporte pas encore assez et Louise travaille à temps partiel. Avec nos deux enfants, je ne sais pas comment on va faire. Louise gagne un peu plus de 2000 euros et je vais perdre les 800 euros que je percevais du chômage»

Dans leur situation, Louise et son mari n’auront droit à aucune aide supplémentaire de la part du CPAS. Ils vont donc perdre du jour au lendemain près d’un tiers de leurs revenus. 

Arrêtons-nous un instant sur le profil des personnes concernées. Les projections montrent une certaine parité entre hommes et femmes. Cependant, près de la moitié des personnes exclues seront faiblement diplômées. Près de 40 % seront des cohabitants, 30 % des isolés et 30 % des chefs de ménage. Il est utile de souligner que, parmi les cohabitants et chefs de ménage, certaines personnes ne seront pas éligibles à l’aide du CPAS. Nous allons donc vers un véritable carnage social, avec des ménages brusquement privés d’une part importante de leurs revenus. Ces estimations sont basées sur les mesures d’exclusions prises par le gouvernement Di Rupo où seul un tiers des personnes avaient sollicité l’aide du CPAS. Cependant, comparaison n’est pas raison. Avec les exclusions précédentes, les jeunes avaient été les victimes principales et des études avaient montré que le nombre de non-recours au droit était important. A nouveau, par les décisions de ce gouvernement, les jeunes seront les premières victimes. Six demandeurs d’emploi sur dix qui seront exclus seront des jeunes. D’autres profils seront aussi fortement touchés, les femmes et les plus de 55 ans. Comme toujours, les plus précaires seront donc comme toujours les plus précaires.

Voilà les personnes concrètes que le gouvernement attaque. Loin d’être une mesure de bon sens, cette attaque — comme celles sur les pensions, les soins de santé, etc. — vise à détricoter un modèle social bâti par le monde du travail. Elle ne fera que reporter la charge sur des structures dont ce n’est pas la mission initiale.

Créés par la loi du 8 juillet 1976, il y aura donc bientôt 50 ans, les CPAS ont pour objectif de garantir le droit à la dignité humaine. Leur création répondait au constat qu’une partie résiduelle de la classe travailleuse ne bénéficiait pas de la sécurité sociale, et qu’il appartenait à une société solidaire de veiller à ce que personne ne soit laissé de côté. Les CPAS n’ont donc jamais été conçus pour se substituer à la sécurité sociale.

Comme indiqué, l’exclusion de ces milliers de chômeurs va avoir des conséquences désastreuses pour les finances de notre commune. En effet, par cette décision, le gouvernement fédéral fait reporter aux villes et communes la responsabilité financière de secourir ces personnes qui vont être envoyées vers la précarité. Cela fait des années que les CPAS, en particulier des grandes villes comme la nôtre, sont soumis à une pression financière considérable. Cela fait des années que les financements fédéraux sont insuffisants et que l’on demande aux communes de suppléer dans une politique pourtant fédérale. Si des financements supplémentaires sont promis, nous les savons déjà insuffisants. Les communes vont devoir être soumises à des choix désastreux pour pouvoir garder à flot les CPAS. 

La volonté du gouvernement Arizona est de leur faire porter aux acteurs locaux la charge des milliers de personnes qui vont, du jour au lendemain, être privées de revenus. À ce jour, pour ne parler que de Liège, notre CPAS n’est pas prêt. Dans les mois à venir, des milliers de personnes se présenteront aux portes du Centre alors que nos travailleurs sont déjà débordés. Il est indispensable d’engager rapidement de nouveaux collaborateurs — les projections parlent de 98,5 ETP, tous services confondus — afin d’absorber les demandes. Et pourtant, les promesses de financement du gouvernement fédéral sont largement insuffisantes, non seulement pour permettre ces engagements, mais aussi pour garantir la possibilité d’octroyer l’aide due aux personnes. Pire encore : les montants annoncés ne sont même pas garantis, faute de signature des ministres concernés.

À cela s’ajoutent les coupes opérées par le fédéral dans de nombreuses aides destinées aux personnes les plus précarisées : aides aux femmes, à l’insertion, à l’enfance, aux personnes sans-abri… Et encore, la Région wallonne, sous la houlette des mêmes MR et Engagés, annonce la fin du subside « Collignon »,créé en période de Covid et duquel dépendent plusieurs dizaines d'emplois dans notre CPAS. Face à un besoin important de travailleurs supplémentaires pour notre centre, le Gouvernement régional met en péril de nombreux emplois déjà existants. 

Enfin, les diminutions de subsides provenant des différents niveaux de pouvoir, cumulé à la mauvaise santé financière du CPAS de Liège depuis des années, entraînent des manques de financement pour certains services du CPAS, comme le service Elis, service qui vient en aide aux habitants de la ville via de petit travaux manuel ou encore le taxi social,, dont la fermeture est annoncée mais qui pourrait pourtant être un levier essentiel pour l'insertion des personnes qui vont frapper à la porte du CPAS.

C’est une catastrophe pour les personnes concernées mais aussi pour le fonctionnement même du Centre, dont la pérennité est menacée.

Le PS, en choisissant de gouverner la Ville avec le MR et Les Engagés, affirme vouloir disposer de relais au niveau wallon et fédéral. Force est de constater qu’à ce jour, ce choix n’a pas empêché la majorité d’appliquer les mesures d’austérité sans les remettre en question. Notre ville a pourtant besoin d’une majorité communale et d’un Collège prêt à aller se battre pour chercher des moyens financiers afin de mener une politique ambitieuse pour les liégeois et liégeoises afin de limiter la casse sociale qui s’annonce. 

Lorsque nous parlons de synergies entre Ville et CPAS, la première d’entre elles est aujourd’hui l’austérité imposée par le Gouvernement wallon et le CRAC — austérité que la majorité applique docilement plutôt que de lutter pour un refinancement par exemple via le fonde des communes,, financement qui bénéficierait aussi au CPAS.

L’année dernière, nous rappelions que si des synergies peuvent évidemment être utiles et améliorer le bon fonctionnement, nous rappelions également que les synergies ne peuvent servir à justifier une rationalisation de l'offre conduisant à l'austérité. Aujourd’hui, force est de constater que l’austérité est bel et bien là, sur de nombreux plans. Nous avons déjà donné plusieurs exemples. Pour le PTB, des synergies peuvent être développées, mais à la condition de sortir du cadre imposé par le CRAC et la Région wallonne. Un autre choix est possible : celui de la résistance, du refus de l’austérité, et d’une réforme plus juste de la fiscalité locale.

En s’en donnant les moyens, des synergies saines pourraient être mises en place : faciliter les démarches des citoyens, fluidifier les liens entre services, partager des infrastructures de quartier afin d’offrir, au plus proche, à la fois les services communaux et le soutien social du CPAS.

Une attention particulière doit également être portée aux conditions de travail des agents : locaux adaptés, rénovés, sécurisés. L’accueil des bénéficiaires doit être amélioré : les files devant la Cité administrative ou Place Saint-Jacques en témoignent.

La politique du logement doit également être prise à bras-le-corps conjointement par la Ville et le CPAS. Le nombre de sans-abris à Liège augmente, tout comme celui des mal-logés. L’exclusion du chômage ne fera qu’aggraver la situation. Une politique ambitieuse est impossible si la majorité persiste dans l’austérité. Il faut des moyens pour développer Housing First, augmenter le parc de logements publics, et imposer aux promoteurs une part obligatoire de logement public dans les nouveaux projets immobiliers 

Je conclurai mon intervention par un constat, et une perspective : nous l'avons dit, MR et Engagés asphyxient notre ville. Mais il est possible de faire autrement. Au niveau communal, et à Liège aussi, nous pouvons nous inscrire en résistance face à ces mesures. La semaine de grève du 24, 25 et 26 novembre où les services publics viendront faire valoir que leur financement est essentiel est clairement un signe de résistance que nous devons soutenir. L'austérité est un choix politique, pas une fatalité, nous pouvons lutter contre, les liégeois et liégeoises en ont besoin.