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Récit des négociations du PTB avec le PS à Liège ou l’espoir déçu d’une gauche de rupture

Récit des négociations du PTB avec le PS à Liège ou l’espoir déçu d’une gauche de rupture

Les négociations à Liège en vue de former une nouvelle majorité à la Violette ont été rompues unilatéralement par le PS. Le PTB a rencontré le PS à deux reprises les 16 et 25 octobre. Dans une ambiance respectueuse, le PTB a pu acter des convergences souvent formelles mais aussi quelques divergences essentielles. Le PTB a avancé neuf propositions et un plan fiscal avec lesquels il espérait convaincre le PS de changer de cap. Malheureusement, le PS a choisi ce mardi 30 octobre de débrancher la prise des négociations avec le PTB pour envisager d’autres coalitions plus traditionnelles. Découvrez les feuilles de route des négociateurs du PTB et les raisons de cet espoir déçu d’une gauche de rupture.

Rafik Rassaa

Dix propositions concrètes pour marquer une rupture avec le passé

Lors de la première rencontre, le PTB a avancé dix propositions concrètes issues de son programme électoral. Un programme, pour rappel, riche de 500 propositions et pour lequel il a reçu un mandat de la part de 16 000 électrices et électeurs. Contrairement à une certaine thèse selon laquelle le PTB n’avait que la question de la réduction du salaire du bourgmestre à avancer, les dix exigences sont diverses et variées : l’imposition de 30 % de logements sociaux dans les grands projets immobiliers privés, l’augmentation significative de la taxe sur les logements vides et la réquisition « douce » dès la 3e année d’inoccupation, une grille locative contraignante, la construction de 3000 logements sociaux nouveaux dans les 6 ans, l’augmentation de la dotation du CPAS, revenir sur la réduction du personnel communal des 6 dernières années, l’instauration progressive de la gratuité des transports en commun, la division du salaire du bourgmestre par deux et la mise en place d’un bureau de la transparence et de l’éthique. Ces neuf premières propositions se clôturaient avec un point financier pour opérer un glissement fiscal sur les grandes entreprises et non sur le dos des citoyens.

Le PS a accueilli ces propositions avec une certaine frilosité en insistant à plusieurs reprises sur sa volonté de s’inscrire dans la continuité des politiques menées ces dernières années, une politique qu’il considère lui-même « sociale et volontariste ». De son côté, le PTB a rappelé sa vision du bilan des précédentes législatures avec une réduction de 18 % du logement social et 19 % du personnel communal. Très vite aussi, les représentants du PS ont insisté sur l’existence d’un « cadre » duquel il est impossible de sortir selon eux. Un cadre budgétaire avec les finances limitées de la Ville, un cadre d’emploi communal imposé par le CRAC – notre FMI régional qui impose ses plans de gestion depuis des dizaines d’années – et un cadre réglementaire strict avec la peur de la multiplication des recours, notamment devant le Conseil d’État. Comme le démontrera le débat sur les balises d’emprunt de la région wallonne, le PS utilise ces cadres comme un épouvantail pour justifier son manque d’ambition en termes de réponses nécessaires aux urgences sociales, environnementales, éthiques et démocratiques.

La tutelle régionale, les pensions et le besoin de « relais »

A la seconde rencontre, le PTB est venu avec ses questions basées sur une lecture assidue du programme communal du PS Liégeois. Mais aussi avec son plan fiscal et les réponses aux questions restées en suspens lors de la première rencontre. Le PTB a posé la question de savoir comment le PS comptait-il s’attaquer à « la construction de logements publics intégrés dans tous les quartiers » comme annoncé dans son programme. Le travail de la régie foncière a été mis en avant tout en expliquant les limites de ce travail du fait de la personnalité juridique de la régie. Le PS a aussi rappelé le déficit courant de la « Maison Liégeoise » qui lui interdit de procéder à de nouvelles constructions sauf exception. Tout en partageant formellement un accord sur l’importance de reconstruire du logement social et public, le PS nous a répété à quel point il est difficile de le faire. Il n’a lui-même proposé aucune nouvelle piste pour être à la hauteur du défi et répondre aux 5200 ménages en attente d’un logement social à Liège.

Le PTB a proposé de pousser les balises d’emprunt autorisées par la tutelle wallonne à leur maximum de 160€/an/habitant. Ce montant vient d’être augmenté dans la dernière circulaire budgétaire de la Ministre des Pouvoirs Locaux1. Le PS a confirmé qu’il s’est lui-même limité à une balise d’emprunt de 125€/an/habitant durant la précédente législature alors que la tutelle wallonne autorisait déjà 150€/an/habitant. Loin de la spirale de l’endettement dont parle le PS dans son communiqué, le PTB a proposé simplement d’augmenter la capacité d’investissement de la Ville de Liège dans le logement social et public en respectant les balises fixées par la tutelle.

S’en est suivi un débat sur les pensions et les cotisations de responsabilisation imposées par feu Michel Daerden, ministre des pensions à l’époque. Même si nous ne partagions pas la même analyse sur les responsabilités de cette crise financière qui se prépare avec les montants annoncés pour les années futures (jusqu’à 67 millions en 2024), nous nous sommes rejoints pour dire qu’il faudra une solution structurelle négociée avec la Région et / ou le Fédéral pour éviter la banqueroute aux finances communales et la fin de toute politique d’investissement. Dans ce débat, le PS a insisté sur le besoin de relais à la région wallonne avec la présence de députés et de ministre issus des grandes villes. Une interprétation possible est sans doute de sceller une majorité avec le MR à la Ville pour préparer demain des majorités PS-MR à la Région mais le PS s’est bien sûr gardé de l’annoncer aussi franchement à la table des négociations.

Convergences et divergences actées

Le PTB a reposé la question concernant l’imposition dans les charges d’urbanisme de 30 % de logements sociaux dans les grands projets immobiliers privés. S’il y avait une ouverture pour discuter d’une règle pour les projets futurs – sans préciser le pourcentage à imposer – le PS était beaucoup plus frileux pour discuter du projet de Coronmeuse où 3000 personnes vont habiter d’ici 2035 et où le premier coup de pelle n’a pas encore été donné par NéoLégia, le consortium soumissionné. Le PTB a proposé de faire étudier par les services juridiques de la Ville la possibilité d’encore agir sur les contrats signés. Rappelons que le Code du Développement Territorial (CoDT) offre aux communes la capacité d'imposer une proportion de logements publics dans les projets des promoteurs privés. C'est ce qu'on appelle des « charges d'urbanisme ». Le CoDT2 dit que la commune peut conditionner « la délivrance du permis à une déclaration par laquelle le demandeur s’engage, au moment où les travaux sont entamés, à céder à la commune ou à la Région, à titre gratuit, quitte et libre de toute charge et sans frais pour elles, la propriété de voiries, d’espaces publics, de constructions ou d’équipements publics ou communautaires ou de biens pouvant accueillir de tels constructions ou équipements. »

Sur les logements vides, il y avait un accord sur l’augmentation de la taxe et le caractère dissuasif qu’il fallait lui donner mais désaccord sur la réquisition douce à opérer au bout de trois ans d’inoccupation proposée par le PTB, réquisition pourtant autorisée par le Code Wallon du Logement3 et qui a prouvé son efficacité dans des villes comme La Louvière et Namur.

Le PTB a proposé de faire appel au fonds de pensions publics Ogeo Fund pour chercher un financement alternatif aux projets de construction de logements sociaux et publics. Ici aussi, le « réalisme » du PS s’est exprimé dans ces termes « Le logement social n’est pas assez rentable pour ces fonds » et ce alors qu’il s’agit de pensions du secteur public. Rappelons qu’Ogeo Fund gère 1,17 milliards d’actifs et qu’il a fait des choix d’investissements très risqués4 avec notamment l’aventure anversoise de « Land Invest Group ».

Nous avons ensuite posé des questions plus précises concernant les actions annoncées dans les actualisations du plan de gestion : l’élargissement de la zone de stationnement payant en ville, la poursuite des dites synergies CPAS-Ville et l’indexation très limitée de la dotation du CPAS, le cadre figé du personnel communal limité à 2889 ETP, la poursuite des externalisations de certains services communaux. Sur toutes ces demandes, le PS a répondu par la positive tout en disant que les économies faites seront investies dans le social. Particulièrement au niveau du personnel communal, les remplacements ne se feront pas poste pour poste mais en fonction de la réorganisation continue des services pour continuer à respecter le cadre contraint par le CRAC de 2889 ETP. Aucune embauche nouvelle n’est prévue au-delà de ce cadre. Bref, on continue comme avant.

Nous avons aussi acté une divergence sur le règlement anti-mendicité que le bourgmestre sortant Willy Demeyer entend maintenir jusqu’à ce que la politique de « Housing First » porte ces fruits. Nous avons rappelé, de notre côté, que si nous soutenons la volonté d’intensifier les politiques de « Housing First », nous continuons à défendre que ce règlement ne fait que cacher la pauvreté, déplacer les problèmes et stigmatiser les personnes les plus fragiles.

Enfin, en termes éthiques, soulignons que la proposition de bureau d’éthique et de la transparence a suscité une forte méfiance de la part du PS avec des comparaisons douteuses avec les délations des années 40. Dans la ville où le scandale Publifin a éclaté, le PTB s’attendait à une autre attitude sur ces questions éthiques et démocratiques.

Quant à la réduction du salaire du bourgmestre, il a existé une certaine ouverture lors de la première rencontre mais aucun engagement ferme. Ce point a d’ailleurs été vite évacué sur proposition du PS en disant qu’il ne s’opposerait plus à cette réduction de salaire s’il ne resterait plus que ce point de divergence en fin de négociations.

Chercher l’argent dans les portefeuilles les plus garnis

Le PTB a ensuite présenté son plan fiscal pour financer ses mesures : augmentation de la taxe sur les forces motrices, taxe industrielle compensatoire, nouvelle taxe sur les surfaces de bureaux avec exonération des petits indépendants, augmentation des taxes sur les parkings commerciaux entre autres. Tout n’a pas pu être exposé mais nous avons ressenti une certaine réserve sur toutes nos mesures sauf l’augmentation de la taxe sur les panneaux publicitaires qui a été accueilli favorablement.

Ces réserves se sont clairement exprimées lorsque l’on a précisé notre volonté de taxer les surfaces de bureau en épargnant les petits indépendants et en rappelant notamment qu’à Uccle5, une telle taxe existait avec un rendement intéressant pour les finances communales. Le PS est venu avec un discours libéral « classique » de concurrence entre villes avec notamment les projets de bureaux à Bierset qui faisait de l’ombre aux projets en cours de développement en cité ardente. Il s’agissait pour le PS de préserver la position concurrentielle de la Ville de Liège sur ce marché. Le PTB ne pouvait évidemment pas s’inscrire dans un tel raisonnement. Nous avions dénoncé cette vision marchande de la ville durant la campagne électorale et ce n’était pas pour s’y soumettre une fois élus ou appelés à gouverner.

Sur la taxe « déchets », nous avons par ailleurs acté nos désaccords sur l’application du coût-vérité et sur la pénalisation des familles les précaires qui ont recours à des sacs-poubelles supplémentaires.

Le PS fait le choix de la continuité avec des coalitions plus traditionnelles

La balance entre accords et désaccords est restée en équilibre instable jusqu’à la fin de notre seconde rencontre avec le PS. Malgré cela, le PTB tient à souligner que les débats sont restés sereins et posés. Le PS a soudainement repris la main ce mardi 30 octobre et fait le choix de rompre les négociations avec le PTB. Il fait ainsi le choix d’une continuité certaine en optant pour des coalitions plus traditionnelles.

Fort du mandat reçu de ses électeurs et avec la volonté de conclure des compromis, le PTB a avancé 10 propositions qu’il voulait voir aboutir s’il venait à monter en majorité. C’était apparemment dix propositions de trop pour le PS. De l’opposition, nous allons continuer à mobiliser la population pour ces revendications pour établir le rapport de forces nécessaire à leur aboutissement. Comme nous l’avons fait avec la lutte victorieuse contre l’introduction des conteneurs à puce, le PTB sensibilisera, mobilisera et organisera les liégeoises et les liégeois pour défendre leur droit à la Ville et arracher de nouvelles conquêtes sociales, environnementales, éthiques et démocratiques.

 

 

Les négociateurs du PTB ont produit deux feuilles de route en vue de chaque rencontre avec le PS. Ces deux feuilles de route ont servi aux échanges sans pour autant être remises sur papier aux négociateurs du PS. La grande majorité des points ont pu être abordés lors de ces deux rencontres comme relatés dans l'article. La première feuille de route est disponible en téléchargement ici, la seconde ici.


|1| : Circulaire relative aux entités sous suivi du Centre Régional d'Aide aux Communes – Année 2019 – p.22. https://pouvoirslocaux.wallonie.be/jahia/webdav/site/dgpl/shared/Circulaires/circ_budg_2019/CB%202019%20-%20PG.pdf

|2| : Article D.IV.54. du Code de Développement Territorial, p. 106. http://lampspw.wallonie.be/dgo4/tinymvc/apps/amenagement/views/documents/juridique/codt/CoDT_coord_20181008.pdf

|3| : Les articles 80 à 85octies, chapitre VI du Code Wallon du Logement et de l’Habitat Durable consacrent le droit des autorités communales à procéder à une « réquisition douce », c’est-à-dire une prise en gestion par un opérateur immobilier public (CPAS, AIS, …) d’un logement inoccupé. Les modifications apportées par le décret du 1er juin 2017 ont précisé encore plus les conditions de cette prise en gestion unilatérale.

|4| : Ogeo Fund : comment l’argent des pensions est utilisé pour spéculer et enrichir des magnats de l’immobilier. Damien Robert. https://ptb.be/articles/ogeo-fund-comment-l-argent-des-pensions-est-utilise-pour-speculer-et-enrichir-des-magnats

|5| : Règlement-taxe sur les surfaces de bureaux de la Commune d’Uccle : http://www.uccle.be/administration/taxes/taxe-sur-les-surfaces-de-bureaux